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Le blog des Poudreurs d'escampette
12 novembre 2014

P135 — That's life... — Joëlle


oies vélo joelle4

   La bicyclette avait été bleue, elle l’était encore un peu. Quelques plaques galeuses tirant sur l’indigo alternaient avec une rouille envahissante et des fientes toutes fraîches de volatiles trop gavés.


  Le biclou avait bien vécu, il avait sans faillir supporté, des décennies durant, l’imposant fessier de Loulou, et puis un jour, un petit matin d’il y a dix ans, Loulou ne s’était pas réveillé et la Mariette avait remisé le vélo dans l’enclos aux canards.


  Depuis lors, le biclou de Loulou est devenu le refuge privilégié des oies couveuses. Allez savoir pourquoi ces volatiles ne se plaisent qu’entassés dans un si piètre espace ? Un porte-bagages ex cageot à légumes plutôt que le nid de foin douillet dans la remise de l’enclos ! A quatre-vingt-cinq ans, Mariette ne se posait plus la question et laissait faire ses bestioles capricieuses ! Après tout si ça ne gâtait pas le foie gras pourquoi s’en plaindre ? C’était plutôt joli à voir et ça faisait de jolies photos que l’on collait sur les bocaux de conserves, ça faisait authentique, ça boostait les ventes sur les marchés du terroir et d’une année sur l’autre Brigitte Bardot ne pouvait être certaine que les bestioles du jour n’étaient point celles de l’année d’avant. Paix à leur âme gavée !

   Aujourd’hui pourtant, Léa a sorti le biclou de la remise et de l’enclos. C’est la foire aux oies de Sarlat et l’effervescence à l’auberge « Le Capitole ». Son père et sa mère sont en cuisine, grand-mère Mariette au gavage des canards. Personne ne surveille la petite, elle n’en a guère besoin, elle a six ans, elle ne joue même plus avec cette grande bécasse de poupée qu’on lui a collée dans les bras au dernier Noël. Elle s’est empressée de la découper en morceau en jouant au Docteur avec le fils du Docteur, Léo, un gentil gamin livré à lui-même, rêveur et décalé, affublé d’un curieux défaut de langage et de parents mondains et indifférents. La référence de Léo dans la vie c’était Léa, la famille de Léa, l’auberge du Capitole et les oies qui ne l’étaient pas moins !


  Aujourd’hui Léa veut jouer avec les icônes de la maison, les oies des neiges aux yeux bleus de sa grand-mère. La petite a posé le biclou contre le mur de briques rouges, elle veut faire descendre les bestioles et emmener en promenade la petite troupe agglutinée dans le porte-bagage. Elle veut jouer à la bergère. Elle a discrètement subtilisé la badine de Loulou posée sur le manteau de la cheminée, « tu n’y touches pas Léa » avait toujours déclaré Mariette, « c’est la baguette de ton grand-père, il s’en servait pour guider ses oies à l’étang, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ! »

   La prunelle de ses yeux ? Allons bon ! Pour l’enfant, la prunelle est ce petit fruit qu’elle cueille et déguste en cachette quand l’occasion se présente. Là encore, elle n’a pas le droit d’y toucher, « il va te rendre malade, c’est du poison… » « Promis, juré grand-mère ! » Léa désobéit toujours, c’est une règle absolue ! Léa mange des prunelles et n’est pas encore morte, les grandes personnes mentent souvent aux petits enfants !

   Les oies protestent, refusent de quitter le panier, la gamine joue de la badine et se fait pincer par la grande Gertrude, une oie blanche hystérique qui fait la danse du ventre près du grillage devant le jars irascible du Docteur Jarry. Pour lors, la Gertrude et son gang défendent âprement leurs positions sur le porte-bagage. La cacophonie est à son comble, la peste blanche, a pincé Léa au sang, les larmes coulent mais la gamine serre les dents.

   Aujourd’hui elle sera bergère, un point c’est tout. Elle n’a pas revêtu son costume pour rien, un costume de Marie-Antoinette que sa grande-sœur lui a cousu pour son sixième anniversaire, rien que de la soie et de la dentelle rose. La perruque poudrée, les bas blancs et les chaussures à boucles dorées complètent à merveille le tableau. Léa ne s’est pas harnachée ainsi pour des prune…lles…

   La bergère est en colère ! Si ça continue elle ne participera plus aux actions commandos commandités par Léo, visant à cacher les oies dans des endroits improbables, histoire de les affamer un brin, de faire reposer leur foie hypertrophié et de les soustraire quelques jours au gavage systématique. Léo se débrouillera pour cacher les oies dans son lit si ça lui chante. Léo aide les oies de la maison à vivre, à se reproduire et à mourir, Léo est un saint enfant mais à ce qu’il paraît, n’a pas toute sa tête. Du haut de ses six ans, Léa sait qu’il lui manque un truc mais elle ne sait encore trop lequel !

   Ouf, Ça y est, les oies sont sorties du panier ! Elles se regroupent sagement autour de la gamine, l’instinct grégaire de ces bestioles n’égale que leur capacité à garder la maison, de vraies pitbull emplumés ! Seule la grande Gertrude résiste, cramponnée au porte-bagage…

   Léa a compris, Gertrude couve, elle protège ses œufs, elle sait que demain ils vont éclore et n’a aucune envie d’escorter la bergère dans sa parade d’opérette. Gertrude a mieux à faire. La petite se résigne, elle laisse l’oie blanche a son destin, la soulève doucement, tâte la couche de l’oie couveuse pour mieux évaluer le nombre de naissances à venir mais, surprise, ramène dans sa menotte les deux yeux de porcelaine de sa sotte poupée de Noël.

   Les yeux de poupée que Léo a mis sous elle. Léa vient de comprendre que Léo est sourd, pour lui les yeux sont des œufs, il convient donc de les faire couver. Léa quitte son costume de reine perdue et s’en va vite prévenir grand-mère.

   Vingt ans plus tard, Léo et Léa sont les plus gros exportateurs de foie gras de l’hexagone, Léa est enceinte, leur quatrième enfant naîtra en septembre, elle pense parfois à sa grand-mère, au Capitole et à ses oies. La cicatrice de son bras est parfois rouge et enflammée, la grande Gertrude ne pardonne pas. Léo est appareillé, c’est un sourd doué, député maire de sa ville, président du conseil régional, on le dit présidentiable... Il vient d’être élu meilleur orateur de l’Assemblée. Son élocution est parfaite, son audition de l’est pas moins ; il entend même ce que l’on ne lui dit pas. Sa carrière est brillante et exemplaire, son avenir et son amour sereins et épanouis.
Son cheptel d’oies compte désormais plus de trois mille becs !


  Le biclou est bien au chaud, au garage au plus près de la Range-rover et de la Mini Cooper.
Il continue à jouer au Docteur avec Léa, chaque jour et chaque nuit de sa vie.

   Léo et Léa ne mangent jamais de foie gras.

   That’s life !

   That's life : C'est la vie !

 

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  • Les Poudreurs d'escampette sont des conteurs, des rêveurs, des plumes de grand talent, des débutants, qui ont envie de partager leur imaginaire, sur un atelier créé et animé par Cath, pour écrire et échanger autour de propositions mensuelles.
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Changement d'adresse

poudreurs

   L'espace d'hébergement précédent étant devenu inconfortable, l'auberge des Poudreurs d'escampette a émigré chez canalblog. Nous allons à nouveau proposer à la lecture publique quelques textes choisis parmi les nombreuses productions mensuelles de l'atelier. Si le coeur vous en dit n'hésitez pas à venir nous rejoindre à l'auberge en envoyant un message à l'adresse suivante, vous y serez les bienvenus !
poudreursdescampette-subscribe@yahoogroupes.fr

Naissance d'un petit cousin

Feuille_érable  
   Les poudreurs d'escampette sont heureux de vous annoncer la naissance d'un petit cousin canadien né à Ottawa il y a peu. Nous lui souhaitons longue vie et beaucoup de créativité.

http://plumesdicietdailleurs.blogspot.ca

Propositions en cours

P210 – Mythologie au goût du jour

P210  
Trouvez dans cette liste le titre de votre nouvelle. Elle devra se dérouler à l’époque actuelle.

Le supplice de Tantale – Le tonneau des Danaïdes – La boite de Pandore – Le talon d’Achille – Le rocher de Sisyphe – Les écuries d’Augias –

P211 – Sur l’écran noir…

P212  

Parmi ces 6 répliques cultes de cinéma, vous en choisirez deux. La première servira d’incipit et la deuxième d’excipit à votre nouvelle

 
“ Les choses que l’on possède finissent par nous posséder” Fight Club. C’est l’angoisse du temps qui passe qui nous fait tant parler du temps qu’il fait” Amélie Poulain“. On peut convaincre tout le monde qu’on a changé mais jamais soi-même.”  Usual Suspect.  “La prochaine fois, y aura pas de prochaine fois.” Les sopranos“. La folie, comme tu dois le savoir, c'est comme la gravité: ça ne réclame qu'une petite poussée!”.Le joker. Il vaut mieux s'en aller la tête basse que les pieds devant.” Archimède le clochard

 P213 – Concours de nouvelles

Les poudreurs s’associent au concours de nouvelles organisé par notre petit cousin canadien « Plumes d’ici et d’ailleurs » . 
Vous enverrez dans un premier temps votre proposition aux poudreurs (vous avez jusqu’à fin décembre) et dans un deuxième temps vous pourrez vous inscrire et participer au concours de nouvelles en envoyant votre texte ( peut-être remanié).

 

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